« Pour m’informer, je ne vais plus seulement sur TikTok » : les graines semées par Agora

« Pour m’informer, je ne vais plus seulement sur TikTok » : les graines semées par Agora
Education aux médias
  • Ouvrir au monde, cultiver le sens critique et produire un travail journalistique : c’est le but du programme Agora, lancé en 2021 par le Département.
  • Tout au long de l’année, les collégiens de Léon-Jouhaux à Livry-Gargan, Lucie-Aubrac à Villetaneuse et Pablo-Neruda à Pierrefitte ont présenté leurs productions dans le prestigieux cadre de la Bibliothèque nationale de France.
  • Magazine écrit, podcasts, vidéos : ces collégien·nes de 4e et 3e, aidé·es par l’association pédagogique Citoyenneté Jeunesse et plusieurs journalistes professionnel·les, n’ont pas chômé. !

« On a aimé ce projet parce qu’il nous a permis de parler de thématiques dont on ne parle à notre avis pas assez : le sexisme ou le racisme.» Dans l’auditorium de la Bibliothèque nationale de France, Ornélie et Théo, élèves de 3e, reviennent avec plaisir sur le magazine qu’ils ont produit sur le modèle de la revue féministe La Déferlante, dont une journaliste les a accompagné·es tout au long de l’année. « Grandir », le sujet de la revue décidé démocratiquement en conférence de rédaction, se détache sur le fond vert pomme de la revue, illustrée d’ailleurs par un dessin de Théo.

Et comme le soulignaient Rozenn Le Carboulec et Deborah Benzimra, journalistes de la « vraie » Déferlante, le numéro des élèves de Léon-Jouhaux pourrait carrément faire concurrence à l’original. Au sommaire : une enquête sur une possible orientation genrée dans notre société, un retour sur les violences policières à travers l’affaire Adama Traoré, ou encore une interview de Meggy Pyaneeandee, ancienne Miss Ile-de-France originaire du Blanc-Mesnil et désormais engagée dans un cursus de cinéma.

« J’ai aimé cette rencontre. Il a fallu la préparer, aller chercher des infos sur Meggy sur Internet et c’est là que je me suis rendu compte que Tik Tok, pour s’informer, ce n’était pas suffisant. Mais en vérité, même sur Wikipedia, il y avait des erreurs. Bien s’informer, ça prend du temps », constate Ornélie, l’un des fers de lance du projet puisque cette élève militante de 3e a aussi été primée pour le beau texte qu’elle a imaginé à partir d’une photo tirée du fonds de la BNF Gallica.

« Bien s’informer, ça prend du temps »

Les 4e de Pablo-Neruda à Pierrefitte se sont entraîné·es à l’exercice de argumentation dans des critiques vidéos sur des films proposés par le festival Côté Court.

Provoquer des rencontres, sensibiliser aux fake news et lever la méfiance qui peut parfois exister entre jeunes des quartiers à l’égard des journalistes, voilà quelques-uns des objectifs d’Agora, programme d’éducation aux médias et à l’information lancé en 2021 par le Département. « Après l’assassinat du professeur d’histoire-géographie Samuel Paty, nous nous sommes dit qu’il fallait travailler au maximum le rapport à l’image, au dessin de presse, donner des clés pour comprendre », rappelait Elodie Girardet, conseillère départementale en charge du Projet Educatif Départemental. Avec un credo : c’est en journalant qu’on devient journaliste. Mettre les élèves dans la peau de journalistes, rien de tel en effet pour comprendre les attraits mais aussi les difficultés de la profession.

En réalisant des critiques cinéma originales et percutantes en compagnie du journaliste Clément Levassort, les élèves de Pablo-Neruda à Pierrefitte se sont par exemple rendu compte que de bonnes séquences n’étaient rien sans le travail de montage qui va avec.

Et les élèves de Lucie-Aubrac à Villetaneuse, engagé·es dans un ambitieux podcast sur les 50 ans du hip-hop et du rap, se sont aperçu·es que parfois la réalité se mettait en travers des rêves de scoop de tout journaliste. « On devait aller à un concert de rap à La Gaîté Lyrique, mais 3 jours avant, ça a été annulé », raconte un peu dépité un élève de Villetaneuse sans avoir forcément conscience que l’annulation s’expliquait par le mouvement de solidarité du lieu culturel parisien envers des mineurs non accompagnés qui n’avaient pas à où dormir. Pas grave : leur podcast, où plusieurs rappeurs et beatmakers prennent la parole, piloté par la journaliste spécialisée Dolores Bakela, est tellement bien qu’il est tout pardonné.

« L’un des points forts d’Agora, à mon avis, c’est de répéter ce qu’on dit à nos élèves par d’autres biais. Ce qu’on peut leur dire sur les diverses discriminations et l’importance de les combattre est ainsi beaucoup plus fort si ça vient de la bouche d’un journaliste qui passe du temps avec eux. Évidemment, on ne réussit jamais à toucher tout le monde, mais je suis sûre que ça sème des graines et que ça fera écho un jour, même chez les plus rétifs », analyse Cécile Ganteil, professeure documentaliste qui s’est beaucoup investie aux côtés de ses élèves de Léon-Jouhaux. Les 3 résidences présentées à la Bibliothèque ne sont d’ailleurs que la partie émergée de l’iceberg: 9 étaient présentes au total cette année dans des collèges du département.

Une passerelle vers les parents

Les 3e de Lucie-Aubrac à Villetaneuse ont réalisé un podcast retraçant 50 ans de rap.

Sur cette édition d’Agora, on a même pu constater que les bienfaits du dispositif allaient au-delà des seuls élèves. Ainsi, le travail des journalistes indépendants Clément et Elisa Levassort avec un collectif de parents d’élèves du collège Pablo-Neruda de Pierrefitte était particulièrement intéressant. A partir du court-métrage « Couleur de peau : Miel » racontant l’histoire d’un petit Coréen adopté dans les années 50 par un couple belge, ces femmes de l’OEPRE (Ouvrir l’Ecole aux Parents pour la Réussite des Enfants), un dispositif national pour des parents d’élèves apprenant le français, ont pu échanger sur l’éducation, la maternité, l’émigration… « Comme avec les élèves, les intervenants ont eu l’intelligence de ne pas se mettre en position de surplomb. Ils les ont vraiment écoutées, ce qui a amené ces femmes à se confier. Cette relation de confiance nous bénéficie aussi grandement à nous enseignants », développait Juliette Goursat, professeure de français à Pablo-Neruda.

Tout cela est désormais consigné dans les prestigieuses collections de la BNF où toutes les productions ont été déposées très officiellement jeudi. Avec les œuvres vives et parfois militantes de ces jeunes gens, La Gazette de Théophraste Renaudot, plus vieux titre de presse conservé à la Grande Bibliothèque prend un sacré coup de vieux !

Christophe Lehousse

Photos: ©Marie-Pierre Dieterlé

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